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Meliorgan is drawing you (and is probably râling)

Blog d'une personne paumée

Aux censeurs de Cher Connard, livre de Virginie Despentes

Publié le 2 Octobre 2022 par Meliorgan in Littérature, Coup de gueule, Actualité

 Ceci n'étant pas tant une critique sur l’œuvre Cher Connard de Virginie Despentes qu'un retour à chaud sur ce qu'elle a créé chez moi, je vous passerai l'étape de la présentation de l'autrice et de son œuvre pour sauter à l'essentiel. J'ai entrepris d'écrire cet article dans l'heure suivant la fin de ma lecture, après avoir été chercher par curiosité les premiers retours (hors critiques dites « professionnelles ») qui s'affichaient sur mes écrans lorsque je tapais le titre et/où le nom de son autrice.

 

Je n'ai pas été bien surpris par ce qui m'a sauté au visage. En voici un bref résumé : extraits sortis de leur contexte pour souligner l'utilisation d'anglicismes, blagues et réflexions louches sur l'autrice, nostalgie d'une « vraie littérature française » (entendez ici le souhait de déterrer Hugo et Zola). J'ai moi-aussi été passionné par les mots des morts, mais si vous souhaitez tant ramener à la vie Hugo et Zola, veuillez ne pas oublier Duras et Sand. Ce que vous célébrez chez ces grands auteurs, c'est avant tout le fait qu'ils ne puissent pas vous contredire. Et de mon côté – car j’admets ne pas communiquer avec les défunts – je ne m'amuserai pas à leur prêter des mots et des pensées pour défendre les miennes. 

Aux censeurs de Cher Connard, livre de Virginie Despentes

Toujours durant ma courte recherche sur les retours faits à Cher Connard, j'ai vu être utilisée l'expression « littérature pour bobo ». Selon moi, cela impliquerait le fait qu'il est nécessaire d'appartenir à la « bonne » catégorie de personnes et d'avoir les « bonnes » références pour comprendre et apprécier Cher Connard. Je suis en désaccord. En effet, il est question de féminismeS (et j'insiste sur le pluriel) et de cinéma, et de littérature, et de musique. Certain.e.s lecteur.ices auront toutes les références, d'autres quelques-une et d'autres aucunes, et je pense qu'on s'en branle totalement. Les noms et titres sont des données cohérentes dans les échanges écrits entre les protagonistes, ils donnent de la consistance et mettent en lumière les références communes ainsi que les apports respectifs. Mais il n'y a aucune nécessité de savoir ce qu'est le Scum Manifesto de Valerie Solanas (entre autre exemple) lorsqu'il est cité, puisqu'il l'est dans un contexte qui résume l'essence de ce qu'il y a à en comprendre. J'ajouterai également un léger sarcasme, en vous faisant remarquer qu'il est bien rare que vous vous préoccupiez du niveau nécessaire à la compréhension des sorties littéraires. Je m'étonne d'autant plus que le langage que Despentes prête à ses protagonistes est un langage que je suis susceptible d'entendre autour de moi quotidiennement si j'enlève mes écouteurs. Ce qui est loin d'être le cas de nombreux ouvrages que vous acclamez. Mais au fond, n'est-ce pas là votre problème : vous aimez revendiquer quel français est le « bon ».

 

C'est d'ailleurs ce qui ressort des échos négatifs lapidaires. Une frustration de ne plus être mis en avant et respecté. Et même pire : le sentiment de ne plus être aimé. Mais aucun.e auteur.ice (dont Despentes) n'a à écrire pour vous caresser dans le sens du poil et vous rassurer. Des avis divergents et la confrontation à d'autres idées, c'est l'essence même de ce qui permet de se positionner voire de se re-positionner. De réfléchir et de forger son identité grâce à ses valeurs. Et franchement, viser la bibliographie de Virginie Despentes en s'attendant à être rassuré sur sa petite personne ce n'est pas de l'optimisme, c'est insensé. Heureusement que certain.es auteur.ices osent se saisir de la langue et empoignent le tas de trucs un peu bizarre qui pue au fond de la poubelle pour l'agiter sous nos nez prétentieux ! Qu'est-ce que ça peut m'emmerder de tomber sur de la démagogie en barre, de l'autocongratulation bien polie et bien mesurée. Je ne pense pas qu'il s'agisse de masochisme que d'aller se confronter frontalement à la nouveauté, pour moi cela relève de l'instinct de survie et de la capacité à évoluer : questionner, peser, trier, trancher ou hésiter. Si je ne me pose pas de questions ou que je ne renouvelle pas celles-ci, je vais crever d'ennui. Je suis pour une France (n'allons pas jusqu'à parler d'un Monde) où la pluralité d'opinions fait avancer le débat, et je ne veux certainement pas d'un pays où les médias applaudiraient unanimement la même pensée sans que celle-ci ne soit jamais remise en question.

 

Je ne prétends pas que s'étonner et se confronter sont des étapes faciles. J'ai du consentir à laisser mes valeurs de côté pendant ma lecture pour réussir à me paumer en minimisant les préjugés dans les échanges entre des personnages admirables et haïssables à la fois. J'ai suivi Rebecca, Oscar et les quelques interventions extérieures, j'ai dévoré ce qu'ils me livraient et ce qu'ils racontent du monde que je connais et de ceux dont je n'ai pas idée. Lire Cher Connard c'est reconnaître ses propres incohérences dans celles des autres. J'ai beaucoup aimé cet extrait d'un des passages de Rebecca, et le sors momentanément de son contexte car il n'y a pas la nécessité de celui-ci tout de suite : « Dans cette histoire on dirait que je ne suis pas de ton côté, que je ne choisis pas mon camp – et c'est vrai. J'ai ce qu'on appelle le cul entre deux chaises. » (p. 323).

 

Vous reprochez à Despentes de vous traiter comme vous traitez les autres. Vous vous insurgez qu'une femme puisse écrire et surtout faire publier ses récits fictifs. Vous jugez sa prose violente, provocatrice, choquante. Vous vivez dans quel monde alternatif exactement ? Les mots, les situations et les personnages que j'ai croisés durant mon immersion dans les pages de Cher Connard c'est de la fiction qui emprunte quelques bribes au réel. Et la violence du réel dépasse de loin celle que Virginie Despentes narre et qui vous brusque tant. Je ne vais pas me foutre de votre gueule car vous me faites pitié. Je ne vais pas vous plaindre car vous êtes trop heureux de cultiver votre ignorance. Je ne fais que – quelle coïncidence avec le récit de Cher Connard – laisser un article sur un blog. Ce que moi je trouve choquant, c'est de trouver violents ces témoignages qui viennent d'une fiction mais qui seraient à leur place dans la réalité de la France de 2022. Ce que je trouve violent c'est de constater que ce ne sont pas les concepts tels que le patriarcat ou leS féminismeS qui vous dépassent, mais la réalité dans laquelle j'évolue tous les jours et que je ne peux pas ignorer. Quasiment tout le monde a un.e ami.e qui s'est fait.e violer mais par contre personne n'a de violeur dans ses amis, quel hasard. Ce goût de trahison lorsqu'un ami que tu pensais être un allié dit « moi je suis un mec, pas une tarlouze ». Et que dire à cette amie compétente qui se heurte au plafond de verre et voit un homme moins qualifié obtenir le poste qu'elle convoitait ? Et à cette nana à peine majeure qui n'osera pas porter plainte car elle portait une robe lorsqu'un mec lui a touché les fesses dans le métro sans que personne ne bouge ? Comment je pourrai expliquer à une gamine de Terminale douée en chimie que même si elle réalise une avancée majeure pour cette science son nom n'apparaîtra probablement pas dans les livres d'histoire, ou qu'elle sera toujours « la femme de » ? Parler trente minutes avec ce patient enfermé dans sa chambre d'hôpital psychiatrique le reste de la semaine c'est être un humain décent, pas un héros.

 

J'ai aimé lire Cher Connard car il m'a provoqué. Un secousse nécessaire pour me rappeler que je ne sais finalement pas grand chose et que je n'en connaîtrai jamais bien plus. Les idéaux partagés ne le seront probablement pas toujours. Ce n'est pas parce que le slogan d'un regroupement est attirant que son contenu n'est pas à vomir. S'autodétruire en blâmant les autres c'est presque passé dans nos gênes. Je ne suis et ne serai jamais le pire ou le meilleur de cet ensemble de cons que nous formons. Mes invectives et provocations ne m'épargnent pas, j'ai souvent besoin de me prendre dans la face d'autres réalités que la mienne.

 

J'ai mon lot de « cher connard » et suis forcément celui d'autres. Je ne veux plus fuir les miroirs, et je n'ai plus envie de justifier mes réussites et mes échecs. Alors je m'adresse à toi, cher connard que j'accuse d'avoir jugé ce livre au seul nom de son autrice et de deux extraits sortis de leur contexte. Toi, que vois-tu qui te fait si peur dans le miroir de ces pages ?

[GIF d'un ciel noir avec de la pluie et de la foudre]

[GIF d'un ciel noir avec de la pluie et de la foudre]

Je devance une critique possible : il y a en effet plusieurs sujets que je n'ai pas pu traiter en profondeur, et ai même décidé de ne pas en mentionner certains. La raison est simple : je ne suis qu'une personne anonyme pour écrire ceci, et si je souhaite avoir la chance d'être lu, je me dois - pour le moment tout du moins - de conserver un format concis.

 

Les commentaires critiques sont tous les bienvenus, à la condition qu'ils soient argumentés.

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